« La loi Vidal est dangereuse car chaque fac pourra fixer ses modalités de sélection »

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Campus occupé de la place de La Victoire qui abrite plus de 4 000 étudiants – crédit Rémy Chabot

Depuis fin janvier, des milliers d’étudiants sont mobilisés contre la loi Vidal (nom de la ministre de l’Enseignement Supérieur) à travers des mouvements de grève et des manifestations partout en France : Tolbiac, Montpellier, Nanterre, Grenoble… Parmi ces élèves, se trouve Camille H., 21 ans, étudiant en licence de droit à l’université Montesquieu de Bordeaux IV à Pessac. Nous avons suivi Camille lors d’une journée rythmée entre cours et assemblée générale, dans le but d’en apprendre un peu plus sur le mouvement étudiant. Et ainsi connaître l’avis d’un élève mobilisé sur la réforme de l’accès à l’université.

Il est 8h00. C’est à cette heure-ci que nous retrouvons un jeune homme dans l’Avenue Léon Duguit de Pessac. Son nom est Camille H.. Cet étudiant de 21 ans, originaire de la région bordelaise, est issu d’une classe moyenne. Fils d’un père chef d’entreprise et d’une mère conceptrice de sites web, Camille est souriant et sérieux au premier abord. Ce dernier nous salue et nous parle de sa vie étudiante. Aujourd’hui mercredi 25 avril 2018, il va en cours de droit sur le site universitaire de Pessac. Camille nous explique comment il gère son emploi du temps : « Je participe aux assemblées générales, aux manifestations et à certaines actions quand je n’ai pas cours. J’essaye de réviser pour valider mon année sur des moments où il n’y a pas d’AG.« 

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Salle Gintrac où se déroulent les AG à l’université de sociologie de Bordeaux – crédit Rémy Chabot

La loi Vidal pose des problèmes aux étudiants

Celui qui souhaite intégrer Sciences Po plus tard traverse les couloirs de la fac. Les 600 étudiants en droit arborent tous les mêmes vêtements : jeans, tee-shirts mais certains ont des petits pulls pour contrer les températures fraîches de fin avril. Ils se pressent pour rejoindre leurs salles de cours ou les amphithéâtres. Il est 17h00 quand nous le retrouvons pour aller à l’assemblée générale du campus occupé. Camille déclare que « les cours sont délocalisés à Carreire et à Bordeaux I pour ces étudiants de la fac de sociologie » étant donné que les manifestants occupent 24h/24 et 7j/7 le hall de l’université.

« La loi Vidal est un grand danger pour les universités »

Sur le trajet, la discussion tourne autour de la réforme de l’accès à la faculté et il choisit ce moment pour nous livrer son opinion très tranchée sur la loi Vidal. « Je pense que c’est un grand danger pour les universités car c’est une sélection masquée. Ils (le gouvernement, NDLR) ont dit que les facs pourront donner un avis négatif aux lycéens qui demandent à entrer à l’université. Avant, ce n’était que les filières en tension (très demandées, NDLR). Mais il faut quand même mettre en place une sélection dans les filières qui ne sont pas en tension et où les facs pourront fixer les capacités d’accueil. C’est dangereux car chaque fac pourra fixer ses modalités de sélection. Cela peut être sur l’origine du lycée, sur le fait qu’un élève ait eu un redoublement, même le fait qu’un élève ait été moins bon une année et qu’il soit rattrapé. Il y a l’idée derrière qu’un élève moyen voire mauvais au lycée, il ne peut pas se révéler à la fac. Moi j’ai des petits frères et soeurs, je n’ai pas envie que notamment mon petit frère qui va aller dans un lycée de banlieue soit pénalisé. Ce n’est pas pareil que d’avoir le tampon de Montaigne, Pape Clément, Elie Faure ou Vaclav Havel sur le dossier. » Ce dernier m’explique également que l’Université de Bordeaux, dont fait partie la faculté de sociologie est pro sélection. Mais certains professeurs sont contre et essayent de faire en sorte que ce ne soit pas appliqué dans cette filière.

Depuis plusieurs années, l’accès à l’université est soumis au tirage au sort pour les filières les plus demandées dites « en tension ». Cette loterie n’est pas très juste pour les étudiants. Pour ce fils de chef d’entreprise, la solution serait « d’investir dans les filières en tension pour augmenter le nombre de places, recruter des professeurs, du personnel et créer de nouveaux campus. C’est normal que le nombre de places augmentent avec la hausse démographique. L’un des moyens serait d’investir massivement dans les facs« .

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Place de La Victoire à Bordeaux – crédit Rémy Chabot

Blocus de la fac Place de La Victoire

En arrivant à l’université, quatre étudiants attendent sur le parvis. Il y a également des tables de disposées avec des boissons chaudes à la vente. Dans le hall de la faculté située place de La Victoire, une ambiance pesante s’y fait directement ressentir. Certains élèves ont les traits tirés. Ils sont fatigués de devoir jongler entre cours, révisions et squat de la faculté. Il n’y a pas beaucoup de bruit, le hall est en désordre avec des vêtements étalés partout sur le sol et des pancartes protestataires qui ont dans le viseur le Président Macron et la réforme de l’accès à l’université. Comme par exemple : « Macron, t’es m*** ! ». Les étudiants déambulent dans les couloirs, discutent entre eux… D’autres en profitent pour faire le ménage, laver les sols ou faire du rangement.

« Les évacuations des facultés ? C’est fait pour que le mouvement se finisse plus vite »

Evacuée il y a presque deux mois, Camille donne sans mâcher ses mots, son avis sur la venue des forces de l’ordre dans la faculté de La Victoire : « Il y a eu une évacuation violente le 6 mars dernier avec des coups de matraque, des coups de poing etc. Moi je n’étais pas là mais le soir de l’évacuation, ils étaient 37 et deux jours après, on était 450 donc le chiffre est même multiplié par plus de 10.«  Mais il se livre aussi sur les évacuations de facultés ailleurs en France (Tolbiac, Montpellier…) : « Je pense que c’est fait pour que le mouvement se finisse plus vite et cela arrive au moment où beaucoup d’étudiants sont démobilisés avec les partiels. À la fin des cours, tous ceux qui se sont mobilisés et qui se sont mis un peu en pause pour leurs partiels vont pouvoir revenir dans le mouvement. Si c’est définitivement fini dans un mois et demi, les gens ne reviendront pas et ne tenteront pas de refaire partir un mouvement. Pourtant c’est paradoxal car il y a d’énormes assemblées générales dans certaines villes. Il y en a quelques unes où le mouvement est même en train de naître et c’est très tardif.« 

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Hall de la faculté de sociologie occupée – crédit Rémy Chabot

Souvenir du cinquantenaire de mai 1968

« Ce n’est pas le même contexte que mai 1968 »

Sur le chemin pour aller à l’AG se dressent certains étudiants et professeurs. Il est question des événements à venir. Mathieu, 22 ans « veut organiser une réunion pour rendre la fac plus vivante dans le but de la garder« . Pascal, professeur de 52 ans nous « invite à participer à la manifestation le mardi 1er mai« . Clémence, professeur de 43 ans, nous parle quant à elle de « la manifestation le samedi 5 mai à Bordeaux« . Ou encore Alice, 20 ans qui évoque « un événement jeudi prochain à l’IUT Bordeaux Montaigne pour en parler avec les autres étudiants« .

En voyant les slogans rappelant le cinquantenaire des mouvements de mai 1968 (exemple : « Tu veux vraiment te battre ? Mai 1968, souviens-toi il y a 50 ans mai 2018 »), Camille est motivé pour se battre. Mais pour lui, il est difficile de faire un rapprochement entre les mouvements étudiants de cette année et ceux de 1968 même s’il y a des similitudes : « Je ne sais pas si on peut faire un rapprochement parce que ce n’est pas le même contexte. En 1968, les syndicats étaient très puissants. Après, il y a quand même un mouvement étudiant qui est très fort, il y a en tout 78% des universités mobilisées d’une manière ou d’une autre. Une quarantaine d’universités ont été bloquées au moins un jour donc c’est vraiment beaucoup. On en n’est pas à dix millions de grévistes comme en mai 1968. Après, le fait que cela arrive 50 ans après à quelques semaines près, forcément on y pense.« 

Camille se dirige vers la salle Gintrac pour assister à l’assemblée générale. Pas besoin d’accréditation pour entrer dans l’amphithéâtre car nous sommes pris pour des grévistes. Une cinquantaine d’étudiants et des professeurs sont présents. Ici, les personnes prennent la parole les unes après les autres et la salle est étonnement attentive comparé aux salle de cours. Un garçon prend des notes sur le tableau de ce qui se dit pendant qu’une étudiante anime la discussion. Pendant ce temps, ils débattent de ce qui va se passer dans les prochains jours à propos de la grève et de l’occupation de l’université. « Il ne faut pas lâcher la bataille les gars« , lance un jeune homme dans l’amphithéâtre alors qu’une fille « propose un repas ce soir » pour parler des manifestations futures.

Il donne également l’avis de certains professeurs sur la loi Vidal : « Cela dépend des filières. Je sais que dans ma filière le droit, quelques uns sont contre la réforme mais il y a une majorité de pour. Par contre en sociologie, il y a beaucoup de professeurs qui sont venus dans les assemblées générales et qui ont dit qu’ils soutenaient le mouvement. Pareil à Bordeaux III à Montaigne. Des professeurs participent aux manifestations.« 

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Camille H., étudiant en droit à l’université de Montesquieu de Bordeaux IV à Pessac – crédit Rémy Chabot

L’occupation des universités, deux poids de mesure

« Occuper les facs est un moyen de faire pression »

Après l’AG, Camille évoque le fait d’occuper les facs pour manifester contre la réforme de la plateforme Parcoursup. Elle qui vise les modalités d’accès à l’université. Il s’explique : « Je ne dirais pas que c’est la bonne solution, je dirais que c’est un moyen de faire pression. L’occupation n’est pas là juste pour occuper même si cela permet de développer des cours et activités alternatifs. Malheureusement en tant qu’étudiant, on ne peut pas faire grève donc le blocage est notre seul moyen de mettre la pression aussi sur la présidence de l’université. Il y a déjà au moins quatre présidents d’universités en France qui ont signé une tribune en disant qu’ils n’appliqueraient pas la réforme et c’est notamment grâce à la mobilisation des élèves.« 

Enfin, il explique que l’occupation de la faculté aura forcément un effet positif au final même si la loi Vidal passe : « Je pense qu’un mouvement social, qu’il gagne ou qu’il perde, c’est jamais 100% une défaite. Même si la loi passe, il y aura des choses positives à retenir. Les professeurs de l’université de sociologie de Bordeaux ont dit qu’ils mettraient tout le monde premiers ex-aequo. C’est le cas d’autres professeurs dans d’autres universités de France. Des présidents d’université se sont engagés à ne pas appliquer la sélection. Même si on n’a pas réussi à faire reculer le gouvernement, on a réussi à faire en sorte que ce ne soit pas appliqué à certaines facultés. Après si la réforme s’applique, on sera évidemment déçu mais ce n’est pas pour autant qu’on arrêtera la lutte. » Pour ou contre, tous sont d’accord sur le fait qu’il faut réformer au plus vite l’enseignement supérieur. Mais comment ? L’avenir nous le dira.

Rémy Chabot

 

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